Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/149

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voyais l’image de la jeune miss qui me disait adieu pour toujours.

— Signori, nous cria le guide, vos excellences n’auront pas fait cinquante pas qu’elles ne voudront plus descendre de la journée, tant mes mulets ont le pied doux.

— Voulez-vous essayer ? dis-je à l’Anglais.

— Essayons, j’y consens. Bon Dieu ! je ne trouve pas mon équilibre. Holà ! muletier, je vous offre une piastre pour rompre notre marché.

— Comme il vous plaira, excellence.

Pendant ce temps-là, nos mulets avançaient toujours.

— Tenez, monsieur, repris-je, remettons notre décision à la volonté du hasard. Jetez une piastre en l’air ; la face sera pour le départ et la pile pour le retour à Catane.

La piastre tomba pile, comme on dit au collège.

— Le ciel soit loué ! s’écria l’Anglais, nous restons. Cependant, je dois avouer que l’assurance me revient et qu’on n’est pas trop mal sur ce mulet.

— Eh bien ! il faut jouer le coup en partie liée. Jetez la piastre une seconde fois et nous tirerons ensuite pour la belle.

La piastre tomba encore pile.

— Nous devons rester, dit l’Anglais ; si nous partons, il nous arrivera quelque malheur.

Deux pigeons traversèrent la route et se perchèrent sur un mur. En bon langage d’augures ils m’engageaient à retourner en arrière ; mais qui est-ce qui retourne jamais en arrière après avoir marché un demi-mille ?

— Qu’en pensez-vous ? Demandai-je à l’Anglais.