Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/159

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où un notaire met ses vieux souliers. Pour la faible rétribution de cinq sous, la cuisinière vous montre les deux colonnes et les souliers par-dessus le marché.

Cette dernière merveille une fois examinée avec le soin qu’elle méritait, il ne nous restait plus qu’à retourner à Catane. Le seigneur anglais me déclara nettement qu’il ne ferait pas la route à cheval pour des raisons à lui inconnues. Nous montâmes donc dans une letiga. La letiga est une boîte étroite et longue, à deux places, portée par deux brancards dont les extrémités reposent sur le dos des mulets. On est ainsi suspendu en l’air et soumis aux vicissitudes des deux animaux qui vous soutiennent. S’ils tombent, vous tombez avec eux. Le mouvement contrarié de leurs pas forme une combinaison de petites secousses sur laquelle le savant, M. Poinsot, pourrait ajouter un beau problème à son Traité des Forces. On doit se tenir bien droit sous peine de faire chavirer la machine et, comme les mulets ont chacun une vingtaine de clochettes au cou, il est inutile de pousser des cris que personne n’entendrait. Entre le procédé des chemins de fer et cette façon de voyager du temps de la bataille de Lépante, il y a quelques échelons à franchir. Notre letiga, du reste, était belle, quoique très vieille et toute fendue. On l’avait ornée, au dehors, d’un papier peint et l’intérieur contenait des tapisseries d’un âge respectable. Elle avait dû servir aux courtisans de don Juan d’Autriche et, depuis, au grand Caraccioli, lorsqu’il vint en Sicile abolir l’inquisition.

Les mulets, liés entre eux par les brancards, se gênaient l’un l’autre dans leur marche. Au bout de tris lieues ils avaient déjà fait une douzaine de faux