Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/171

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monsieur le Français, à vous qui venez d’un pays où ce sont les fortunes qui se marient plutôt que les personnes et où le beau mot d’intérêts matériels a remplacé tous les sentiments ; mais il faut considérer que nous sommes, sous le trente-septième degré, dans la patrie de Théocrite et d’Archimède et, par conséquent, bien éloignés des lumières. Le père ne trouva donc pas d’objections à faire, quoiqu’il en eût grande envie ; Zullino vint assidument passer les soirées auprès de sa maîtresse et on s’apprêtait à publier la nouvelle du mariage prochain, lorsqu’un incident dérangea les projets.

En face de la boutique du tailleur demeurait un homme qui s’était enrichi dans le commerce de soieries de Catane. Cet homme découvrit, à quarante ans, qu’il lui fallait une femme pour mener sa maison. Don Benedetto, c’est ainsi qu’on le nommait, mit un pantalon de nankin tout neuf, prit sa montre à breloques et sortit de chez lui, en manches de chemise, avec un chapeau de soie bien luisant à la façon de Paris. Dans cette toilette d’un négligé savamment mélangé de luxe, il vint poser ses deux coudes sur le bord de la fenêtre où travaillait le petit tailleur.

— Savez-vous, dit-il, ce que j’ai fait, depuis dix ans que je tiens mon commerce ? Non, mon voisin, vous ne le savez pas. Regardez-moi un peu, là, entre les deux yeux. Vous voyez un homme qui a gagné plus de vingt mille, plus de trente mille écus et davantage. Cette année, je voulais avoir une maison dans la montagne pour la villégiature : j’ai fouillé dans la sacoche et j’ai eu la maison. Demain, si je voulais avoir un cheval, je fouillerais