Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/187

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étonnée de son uniforme et de sa belle tenue après cinq ans de campagnes glorieuses. Il parla des magnificences de la ville de Naples, nouvellement éclairée par une lumière sans huile ni mèches ; il appuya beaucoup sur la considération du peuple pour les militaires et sur les délices de la musique du régiment qui jouait la cavatine de l’opéra en vogue. Ces récits merveilleux, accompagnés des fumées du vin, entraînèrent le pauvre Zullino. Après quelques rasades, il posa sa signature sur un morceau de papier, en vertu de quoi on l’expédia sur le continent aux troisièmes places du bateau postal, entre des volailles et des thons salés. Le pauvre garçon ne fut pas plutôt incorporé dans un régiment d’infanterie, livré aux sergents instructeurs et soumis à une discipline inflexible, qu’il comprit sa faute et pleura sa liberté. Il s’en alla dicter une lettre pathétique à l’un des écrivains publics de la place du Castello, pour demander à ses oncles de lui acheter un remplaçant ; mais il fallait deux cents piastres et toute la famille n’en possédait pas cinquante.

Agata n’ignorait pas le malheur de son ancien ami. Le commis-voyageur de la maison avait rencontré Zullino à Naples. Soit par intérêt pour le sort de ce jeune-homme, soit pour se donner de l’importance, le commis assura que Zullino n’avait pas longtemps à vivre. Agata pris aussitôt sa chaîne d’or, ses pendants d’oreilles et ses bracelets. Un bijoutier lui offrit du tout ensemble vingt-cinq piastres et, après cette expédition fructueuse, elle rentra chez elle dans un état de violent chagrin et d’impatience. Don Benedetto, la plume à la main, calculait ses bénéfices lorsqu’il vit entrer la signora dans son bureau.