Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/189

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qu’elles seraient libres dans un temps déterminé. C’était toujours le sérail délicieux d’un bey ou d’un pacha qu’il offrait en perspective et, lorsqu’on arrivait sur l’autre rive de la Méditerranée, les filles enlevées étaient probablement vendues sur le marché aux esclaves. Ces spéculations lucratives sont heureusement fort rares, à cause du contrepoids de la potence. Le hasard et l’appât du gain avait amené ici un de ces séducteurs mystérieux. Il déguisait son trafic sous le titre de marchand d’ambre et de corail. La police avait les yeux sur lui et les jeunes-filles riaient à ses dépens lorsqu’il traversait la ville avec ses bottes à l’européenne, son carrick jaune et son turban ; mais celles qui étaient belles et pauvres savaient que, sous ses habits délabrés, il portait une ceinture garnie de pièces d’or. Agata courut impétueusement jusqu’au môle où cet homme se promenait souvent pendant le jour. En arrivant à lui, la toppatelle écarta brusquement sa mante noire pour montrer sa taille.

— Signora, très belle, dit le Turc dans son jargon

— Voulez-vous de moi ?

— Signora, mi pauvre negociante corail

— Deux-cents piastres et je pars avec vous.

— Grosse somme.

— Pas un carlin de moins.

— Mi partir demani per Tunis

— Où est votre vaisseau ?

— Le Turc étendit son bras vers les écueils où l’on voyait passer, entre les cônes de lave, le bout d’un petit mât.

— A quelle heure ? reprit Agata.

— Milieu de nuit.