Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en se traînant sur les genoux, que le pont était rompu et il se mit à pleurer en poussant des cris lamentables. M…, percé jusqu’aux os par la pluie et tremblant de froid, ne songea plus qu’à chercher un asile. Vers minuit, ayant perdu son chemin, il voulait sérieusement éventrer son mulet avec un couteau pour se réchauffer dans le sang de ce malheureux serviteur, lorsqu’il aperçut, à deux pas de lui, quelque chose qui ressemblait à un bâtiment. Le hasard l’avait conduit à une écurie appelée le Fondaco della Palma et qui sert de refuge aux muletiers pendant la mauvaise saison. M… frappa contre la porte à coups redoublés. On lui ouvrit après un long pourparler dans lequel il tâcha de prouver qu’il était bien un homme de chair et d’os. Les bons muletiers s’empressèrent alors d’allumer du feu, firent sécher les habits du signor français, lui donnèrent pour lit une auge garnie de filasse, lui souhaitèrent une bonne nuit et se rendormirent. A peine l’écurie fût-elle retombée dans l’obscurité que les insectes accoururent par escadrons. Des rats se joignirent à eux. Un coq, grimpé sur le pied de l’auge, célébrait par ses chants la marche des heures. Deux pourceaux et une chienne, suivie de ses petits, voulaient absolument dévorer la provision de bouche enfermée dans le sac de nuit dont M… s’était fait un oreiller. La nuit entière se passa en combats contre toutes sortes d’ennemis. Le soleil parut enfin. M… dit adieu aux muletiers et, comme il ne croyait pas les revoir sur cette terre, il leur promit de les remercier encore de leur hospitalité dans le paradis, ce qui étonna beaucoup ces braves gens à qui on avait assuré que les Français suivaient la religion musulmane.