Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/197

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Le peuple de la Sicile a d’excellentes raisons de ne pas nous reconnaître. Les traités de poste nous interdisent toute communication directe avec cette île. Nos bateaux à vapeur, qui sillonnent la Méditerranée, passent en vue des côtes sans y aborder. Un privilège accorde aux seuls bateaux napolitains le droit d’entrée dans les ports, ce qui constitue un blocus permanent dont on comprend aisément les conséquences. Les idées de l’Occident peuvent aller où il leur plaira, jamais elles ne mettront le pied en Sicile sans permission. Il ne serait pas vrai de dire que ce pays soit arriéré d’un siècle ; il a marché de son côté sans le secours des autres, aidé faiblement par les reflets que Naples lui envoie. A force d’intelligence, la Sicile supplée à ce qui lui manque et son originalité se soutient, tandis que tout se façonne sur le même modèle dans le reste de l’Europe. En allant de Saint-Jean d’Acre à Moscou, l’aigle de Napoléon a volé par-dessus la Sicile et le regard du conquérant ne s’est point arrêté sur cette île magnifique en examinant la carte d’Europe. Il y eût songé plus tard s’il ne se fût égaré dans les neiges de la Russie. Le bruit de nos guerres n’a porté à Palerme que des échos ; on s’y souvient mieux de Charles d’Anjou et on juge notre caractère par l’éternelle histoire des vêpres siciliennes, dont on est très fier, quoique je n’aie jamais bien compris ce qu’il y avait de si glorieux à égorger des gens sans défense après leur avoir fait prononcer, en italien, le mot pois-chiche. Sur ces renseignements, qui datent de 1282, il n’est pas étonnant que le vulgaire ne connaisse pas parfaitement les Français et, si en enseignant le catéchisme, on dit aux enfants et aux bonnes gens que nous sommes