Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/198

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des Turcs, il n’y a là personne pour prouver le contraire.

Le comte de M… eut soin, cependant, d’apprendre aux muletiers que nous sommes chrétiens et les quitta fort touché de leurs bons procédés. En arrivant à Syracuse, il oublia, comme moi, ses infortunes devant les tombeaux antiques et devant la statue de Vénus. Sans être à la hauteur des quatre Vénus les plus célèbres, cette statue porte encore le cachet de l’art grec. Les bras manquent, mais un petit morceau de marbre, placé sur le sein gauche et destiné à servir d’appui à la main, montre que la pose était celle des deux Vénus de Médicis et Capitoline. Le dos et les épaules sont d’une beauté parfaite ; les jambes, seules, qui pêchent par trop de force et de raideur, gâtent l’ensemble du morceau et le rejettent parmi les ouvrages de second ordre.

Le soir du troisième jour, M…rentra dans Catane exténué de fatigue. Une fouis qu’il se fut sonné la satisfaction de me raconter ses vicissitudes en face d’un poulet rôti, sa bonne humeur lui revint et nous entrâmes en grande conférence au sujet du voyage à Palerme. Il s’agissait de traverser la Sicile entière. Les deux seuls points intéressants qui se trouvassent sur notre chemin étaient Girgenti et les ruines de Sélinunte. Un guide fameux nous proposait de faire cette tournée en onze jours, à dos de mulet. Le célèbre Luigi était porteur de certificats les plus honorables, attestant ses connaissances archéologiques et culinaires. Notre patron d’auberge assurait que nous ne trouverions jamais une aussi belle occasion de voyager agréablement. Nous hésitions : une mauvaise nuit est bientôt passée, mais onze nuits mauvaises et