Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/215

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d’un ennemi à un prix modéré, je dirais même chétif si on le compare aux anciens tarifs.

Michel Cervantès nous apprend, dans son histoire de Rinconete y Cortadillo, que, de son temps, la tagliada se payait, à Séville, cinquante ducats qui en valaient deux-cents d’aujourd’hui. L’homicide devait au moins coûter le double. La vengeance était, comme on le voir, à un prix énorme en Espagne ; elle a subi un rabais à Palerme. D’honnêtes gens, qui l’avaient apparemment marchandée, m’ont assuré que pour la bagatelle de cinq piastres on pouvait faire tailler un homme. Ce n’est vraiment pas la peine de s’en passer. Ils ne m’ont point dit ce que coûtait le meurtre et je ne voudrais pas risquer d’en indiquer un faux prix, de peur que ceux qui se trouveraient induits en erreur ne vinssent me reprocher une inexactitude.

Il n’y a pas longtemps qu’un Français, voyageant en Sicile, devint amoureux d’une belle dame de Palerme. L’histoire ne dit pas s’il parvint à plaire. Soit que le dame eût cédé à ses vœux, comme on dit, soit que le mari, aveuglé par la jalousie, se considérât, mal à propos, comme offensé, ce mari partit pour Naples d’où il écrivit aux frères de sa femme en déclarant qu’il ne rentrerait pas chez lui tant qu’on ne l’aurait pas vengé. Toute la fortune du ménage appartenait au jaloux ; la position de la femme devenait fort précaire par cette rupture. Les frères tinrent conseil et résolurent de donner satisfaction à leur beau-frère. Le duel leur semblait un procédé hasardeux ; d’un autre côté, la France n’aime pas qu’on tue ses nationaux au coin d’une borne et, comme elle a des ambassadeurs à cet effet, le meurtre