Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/217

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de place s’étaient munies d’un troisième cheval, orné de grelots. Nous conclûmes notre marché avec l’un de ces fiacres et nous nous mîmes en route. Des charrettes, emplies de monde et d’instruments de pêche, couraient le train de la poste au moyen de chevaux de relais. On aurait cru volontiers que les habitants de Palerme s’enfuyaient à l’approche des Normands ou des barbares. Les hommes du peuple avaient laissé la bonacca pour la veste de toile. A la pointe du jour, on arriva sur la plage, où un grand nombre de barques attendaient les acteurs et les curieux. Les bateaux formèrent bientôt un demi-cercle, en bataille à l’entour des filets au pied desquels les thons dormaient sans doute encore. Le thon, quoique fort gros, n’est pas doué de beaucoup d’intelligence ; il obéit à des instincts simples et innocents. Celui de l’émigration le mène à sa ruine, à cause de sa routine habituelle et de la méchanceté des hommes. Lorsqu’il vient donner de la tête dans les filets qui lui barrent le passage, le pauvre animal n’a pas l’idée de retourner en arrière et de faire un détour. Il veut passer au-dessus de l’obstacle et nage, en montant jusqu’à la surface. C’est là que son ennemi l’attend, averti par l’écume et le bouillonnement de l’eau.

Aussitôt que le bataillon des thons paraît, les pêcheurs frappent et percent à grand coups de crocs et de piques de fer. Plus on en tue, plus il se présente de victimes. En un clin d’œil, la scène n’est plus qu’une mer de sang ; les curieux eux-mêmes en sont inondés. Des cris féroces annoncent la joie des exécuteurs. Le massacre est effroyable. Quelques barques sont renversées par les coups de queue et les convulsions des poissons ; c’est là le seul danger