Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que courent les assassins. On ne songe d’abord qu’à faire le plus de morts possible. Dans le désordre du désespoir, les thons restent assez longtemps à portée des barques, puis ils essayent de s’enfuir et plongent en cherchant une autre voie. Ceux qui n’ont pas été frappés s’échappent. D’autres, blessés mortellement s’en vont expirer en pleine mer ; beaucoup restent, éventrés, sur le champ de bataille et, quand on ne voit plus rien à tuer, on ramasse les cadavres et on les tire dans les barques, d’où on les charge sur les charrettes qui rentrent triomphalement à Palerme. De jolies dames, avides de ce spectacle, retournent à la ville les joues enflammées, avec des éclaboussures qui en feraient de bons modèles pour représenter Judith sortant du lit d’Holopherne et, à ce propos, je regrette qu’Allori n’ait pas mis, sur la belle robe de la Judith du palais Pitti, quelques grosses traces de son meurtre. Lorsqu’on vient d’égorger un homme, fût-ce avec la permission de Dieu, la vraisemblance veut qu’on en porte la souillure.

Le retour à Palerme, au milieu de la bande ensanglantée des bonacchini, hurlant et chantant, les manches retroussées et les yeux flamboyants, nous parut moins gai que le départ. Une horreur invincible m’a toujours éloigné des gens abandonnés, par nature ou par métier, à l’instinct de la destruction. Le bonacchino nage dans la joie lorsqu’il a du sang jusqu’aux oreilles et j’avoue que, le jour de la pêche du thon, il ne se montre pas sous des couleurs aimables. Je n’engage donc pas les lecteurs sensibles à rechercher ce triste spectacle, à moins qu’ils n’aient le système nerveux confectionné en barres de fer. Cela est bon pour les Anglais qui ne s’émeuvent pas d’une bagatelle ;