Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/235

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Romana. Avant d’arriver à cette porte, les chevaux-fantômes s’abattirent trois fois. L’arbalète donnait le signal en se jetant sur le flanc ; les deux autres venaient se heurter dans ses jambes et tombaient avec un accord admirable, embrouillant les traits, guides et cordages, au point qu’il fallait tout dételer. Dans ma douleur, je songeais à la chute des feuilles de Millevoye et je répétais ces vers si mélancoliques :

Tombe, tombe, rose éphémère ;
Couvre, hélas ! Ce triste chemin.

Cependant, à la troisième chute, les voyageurs, pris de vertige, criaient comme des démons et me tirèrent de ma torpeur. Je m’aperçus alors que les trois chevaux, couverts d’oripeaux, de plumes de paon et de petits miroirs, formaient un équipage bouffon, digne de voiturer la dame Rodrigue de Cervantès. Mon voisin dans le cabriolet, jeune Sicilien basané à barbe crépue, me rendit le service de me distraire par cent questions plus ou moins discrètes. Je le reconnus pour un Carthaginois et le baptisai don Hasdrubal, surnom qu’il accepta de bonne grâce et justifia complètement dans la suite, lorsque nous devînmes amis intimes. Par une ouverture, je distinguai, dans l’intérieur, un archiprêtre de bonne physionomie, un abbé de mine tout à fait égrillarde et qui partait, en habits râpés, pour aller recueillir un héritage de cent mille ducats. Le fond de la voiture était occupé par un jeune médecin très loquace et par une jolie demoiselle, lectrice d’une princesse allemande, et qui pleurait dans son mouchoir en retournant chez ses patrons.

Une fois qu’ils ont quitté la dalle glissante, les