Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/243

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On ne manque jamais, à Terracine, de mettre dans les chambres d’auberge des cuvettes fêlées dont on porte le prix sur la carte, en vous soutenant, en face, que vous les avez brisées. Tous les voyageurs de notre voiturin se plaignaient à la fois de la grossièreté du mensonge. Je les engageai à payer de bonne grâce leurs cuvettes et à se donner le plaisir de les achever, ce qui produisit, au départ, un joli vacarme de pots cassés. Une indignation générale s’était soulevée à ce procédé inattendu et notre conducteur, qui connaissait son monde, craignait une émeute contre nous.

Je ne sais pourquoi je m’étais construit, dans l’imagination des Marais-Pontins d’un aspect sinistre, une voie artificielle représentant, à l’œil, la juste mesure du travail énorme qu’elle a dû coûter. Je cherchais un désert, des marques visibles de l’air pestilentiel. Au lieu de cela, je fus surpris de voir une route bordée d’acacias et de platanes, semblable à une avenue conduisant à quelque château de plaisance. D’un côté est un canal d’assainissement sur lequel descendent des bateaux chargés de joncs et de foin ; de l’autre, des vaches qui paissent tranquillement. Partout une verdure fraîche, relevée par le bleu foncé d’un ciel pur. Si le vetturino ne nous avertissait pas qu’il ne faut point s’endormir sous peine de gagner les fièvres, on ne se croirait jamais au milieu de la malaria et d’une nature perfide. On voit bien qu’il n’y a pas d’habitation dans ces marais ; mais on attribuerait volontiers leur abandon au manque d’esprit spéculatif des gens du pays.

Vers onze heures, le soleil avait pris une force terrible. L’abbé ôtait son habit ; le bon archiprêtre lisait son bréviaire avec des ruisseaux de sueur sur le