Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/244

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visage, le médecin chassait les mouches avec son mouchoir, la jeune lectrice était devenue une rose pourpre et je poussais des soupirs à fendre les montagnes. Le Carthaginois, seul, continuait à regarder le pays d’un air radieux. Peu à peu, l’assoupissement s’emparait de la voiture entière et les têtes s’en allaient ballottant d’une épaule à l’autre. Don Giuseppe, le conducteur attentif, remarque le danger et entonne une chanson d’une voix de stentor ; nous allions nous rendormir encore lorsqu’il s’écrie :

— Que pensent vos seigneuries de ce sonetto d’amore ?

Et il nous récite un sonnet de Pétrarque, puis un autre sonnet, puis un fragment des poésies de Monti.

— Je pourrais, ajoute don Giuseppe, vous dire tout un chant de la Gerusalemme liberata ; mais l’Orlando furioso me réussit mieux et je vais vous en déclamer quelques morceaux.

Don Giuseppe avait une excellente prononciation et récitait en homme intelligent. Une fois à la tour des Trois-Ponts où finissent les marais, il s’interrompit :

— A présent, dit-il, vos seigneuries peuvent s’endormir, la malaria est passée.

Sans vouloir faire tort aux conducteurs de messageries de France, je crois pouvoir affirmer qu’on trouverait peu de gens, parmi eux, aussi lettrés que le vetturino don Giuseppe.

Velletri, l’ancienne capitale des Volsques, était devenue, sous les empereurs, un lieu de délices. Tibère, Caligula, Othon et d’autres encore l’avaient choisie pour y construire des maisons de campagne.