Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/256

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ainsi dégradé en Italie est incalculable. Le Moïse est, selon moi, le morceau capital de Michel-Ange. A ceux qui, par amour de l’antique, professent le culte seul de la forme, on pourra toujours citer victorieusement le Moïse comme le triomphe de l’art philosophique, en l’appuyant du mot sublime de l’auteur à son ouvrage : « Adesso puoi parlare ». Il y a de quoi s’inquiéter quand on pense que cette statue est à portée du bras, sans une grille qui la défende, que les curieux mettent sans cesse leurs mains imbéciles sur le genou de marbre du législateur et qu’aucune surveillance n’est établie dans la petite église de San-Pietro-in-Vincoli.

Le Titien, dit-on, était le peintre de la matière ; son génie réside dans sa main et ne monte pas plus haut que l’épaule ; ses Madeleines ressemblent à de grosses filles bien portantes qui ne pleurent pas comme celles du Guerchin. Il est bon de citer un tableau de ce grand maître, à l’appui du contraire. Au palais Doria, on pourra voir un Sacrifice d’Abraham d’une expression sublime. L’enfant ne paraît pas soumis et résigné, comme dans les autres tableaux sur le même sujet ; il se débat et résiste au bras de son père ; il crie et tend des mains suppliantes, en se tordant avec tous les signes de l’angoisse et de la terreur. La figure décrépite d’Abraham est animée par un désespoir voisin de l’égarement. Ses yeux brillent d’un feu sinistre. On devine qu’il a déjà trop tardé, que le sacrifice devrait être fait. Dieu a failli attendre ! Il n’y a plus de père. Le bras droit, armé du couteau, va frapper, de bas en haut, par un geste terrible. On tremble que la main délicate de l’ange n’ait pas la force d’arrêter le coup. Ceux qui pourront