Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/262

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général, il se demande s’il a sur le front le signe réprobateur de Caïn et s’il est plus méchant ou plus orgueilleux que les autres. En cherchant dans sa tête, il y reconnaît que, sans une douzaine de livres destructeurs rangés en bataille sur les rayons de sa bibliothèque, il partagerait le bonheur et la confiance de tout le monde. La procession passe et l’étranger rentre chez lui, triste et confus. C’est à Rome que les grands pêcheurs doivent se convertir. L’illumination de la coupole, qu’on voit de tous les quartiers de Rome, est d’un effet magique ; quant à la girandole du château Saint-Ange, elle ne soutiendra jamais la comparaison avec nos feux d’artifice, tant que la chambre des députés votera la poudre à canon annuelle et patriotique des fêtes de juillet.

Autant l’homme du peuple napolitain a d’aversion pour la moindre contrainte et le métier de modèle, autant le Romain est docile et complaisant. Il se drape, le dos appuyé contre le mur, et regarde, d’un air engageant, l’artiste qui se promène sur la place d’Espagne. Il adopte la pose la plus académique et se stéréotype volontiers pour deux heures. Avec son chapeau pointu, roussi par le soleil, son manteau d’une couleur inexprimable, sa chaussure de buffle, ses jambes ornées de bandelettes rouges, son large cou découvert, son teint basané, son nez aquilin et les belles lignes de sa stature, il provoque à la fois le coloriste et le dessinateur. Cependant, les plus beaux, qui sont les Transtévérins, dédaignent de fréquenter les ateliers de peinture. Sur la rive droite du Tibre, on prétend n’avoir jamais mêlé son sang à celui des Barbares. Si on n’a pas hérité de toutes les vertus antiques, on a du moins