Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

conservé la fierté. La gaieté, la grâce, la politesse, sont apparemment des inventions modernes abandonnées à la rive gauche. On n’entend que des paroles sèches et des malédictions : « Accidente per te ! per la tua familia ! guaï à te ! » Les mères battent leurs enfants qui, au lieu de pleurer, tâchent de leur rendre les coups. Les vengeances vont grand train. On se menace d’un pouce de lame dans le corps, ou de la lame entière, selon la gravité de l’offense et on tient parole. L’étranger fera prudemment de se considérer comme barbare et de rester sur la rive gauche.

Je m’imaginais connaître les grandes chaleurs pour avoir été un peu hâlé par le printemps de la Sicile et le voyage de Naples ; mais vers la fin de juin, je me vis obligé de convenir que, sous ce rapport, l’Italie ne s’était point encore révélée. Le ciel prit l’aspect de l’airain en fusion ; une vapeur brûlante vint remplacer le zéphyr du matin et le soleil déchaîné mérita les épithètes qu’on ne donne ordinairement qu’à la tempête. Avent midi, tout le monde rentrait, fermait les persiennes et s’étendait sur son lit jusqu’à cinq heures. La ville appartenait alors aux chiens et aux cigales. Le soir, on voyait les fenêtres s’ouvrir, les grisettes nonchalantes se montrer en peignoir, les marchands bâiller en rétablissant leur étalage, les cafés tirer les rideaux de leurs portes et les acquajoli remettre leurs verres dans le bassin des fontaines.

Pendant le temps consacré à la sieste, n’ayant pas la prétention d’être un parfait Romain, il m’arrivait souvent de ne point dormir. L’homme du Nord ne s’acclimate pas tout de suite. Il apporte en lui, des régions boréales, une fraîcheur que son sang garde longtemps, comme ces bouteilles qu’on tire de la