Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/274

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le plus ruiné de la ville ; au contraire, en sortant par le Corso et la porte du Peuple, on traverse les quartiers modernes, les rues neuves et les places ornées d’obélisques et de fontaines. Jusqu’au pont Molle, le faubourg présente deux belles lignes de maisons, de locande, de châteaux de plaisance et de jardins bien cultivés.

Selon les artistes allemands établis à Rome, quiconque n’a jamais passé le pont Molle est ignorant comme l’enfant qui vient de naître. Celui qui arrive d’Allemagne commence par se faire admettre dans la société des Ponte-Molle avant d’oser ouvrir la bouche pour dire un mot ou boire un verre de bière. On va le chercher, en cérémonie, au-delà du pont où il attend ses compatriotes et, là, on l’interroge. A chaque question, le candidat doit répondre de la manière la plus absurde. Si on lui montre un arbre, par exemple, il affirme que c’est une pierre ; il ne sait pas même comment il s’appelle, de quel pays il vient ni où il se trouve. On passe ensuite le Tibre et on procède à un nouvel examen ; c’est alors que le candidat devient un être doué de raison, qu’il se rappelle qui il est, d’où il vient et distingue un arbre d’une pierre. On le déclare membre de la compagnie et la cérémonie se termine dans une locanda, sous quelque tonnelle de verdure, au milieu des bouteilles et des nuages de fumée. C’est une bonne journée de folie et de rires et, si j’avais pu me faire passer pour Allemand, je n’aurais pas manqué de me présenter au cercle des Ponte-Molle.

A notre sortie de Rome, nous composions une joyeuse caravane de dix à douze voiturins partant, les uns pour Florence, les autres pour Ancône. Les grelots