Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/275

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et les chansons faisaient un bruit de noce ; les flots de poussière changeaient les moines en meuniers. J’avais auprès de moi, dans le cabriolet, un Français, M. V…, élève de l’école de Metz, garçon instruit, mesurant tout à son compas polytechnique, mais avec esprit et originalité. Le fond de la voiture appartenait à une vieille dame, flanquée d’un gros abbé, le devant à mon Carthaginois. Chacun trahissait ses goûts dominants : M. V… s’attachait aux jolis visages de femmes ; l’Africain avait les yeux ronds à force de regarder ; il notait, sur son calepin de voyage, les bornes, ponts et chaussées, et assassinait son voisin à force de questions. La vieille dame et son abbé parlaient d’argent, de fortune, de tel marquis ou de tel négociant riches à millions ; ils n’ouvraient pas la bouche à moins de cent mille piastres et se plaignaient de la soif. De tous ces goûts divers, celui de M. V… était le seul qui me convînt, aussi, avant d’avoir franchi les faubourgs de Rome, nous nous entendions comme une paire d’anciens amis. Il savait déjà que l’un des voiturins de notre suite conduisait à Florence une très belle Napolitaine, accompagnée d’un jeune homme qui paraissait fort empressé à la servir.

Au-delà du pont Molle, la campagne de Rome reprend son aspect sombre et désolé. La terre est inculte. Des buffles sauvages se lèvent au bruit des voitures. Quelques paysans, armés de longues perches, conduisent des troupeaux de chevaux indociles. Des bandes d’alouettes s’envolent en tournoyant et semblent vous saluer par des gazouillements ironiques. Jusqu’à Nepi, on croirait traverser des cimetières abandonnés.