Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/280

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pas élu domicile à l’auberge. On y dort, ce qui mérite d’être proclamé, car c’est une rareté sur les routes d’Italie et même de France. Le lendemain, à trois heures, lorsque les fidèles vetturini firent leur ronde dans les chambres, nous retombâmes tous sur l’oreiller, d’un commun accord et nous prîmes un bon supplément de sommeil. Aussi le soleil devenait fort importun quand nous arrivâmes à Spoleto, dont M. le baron Roederer a été préfet sous l’empire. Il n’appartient pas, à un pauvre voyageur, qui montait, hier à Terni, sur son âne, de juger les vastes projets du grand homme, mais j’ai peine à croire qu’au lieu d’envoyer son administration si loin, l’empereur n’eût pas mieux fait de donner une bonne fois l’unité et la liberté à l’Italie qui, sans doute, ne les aurait plus lâchées qu’avec la vie.

Spoleto est une ville étroite et escarpée, où les voitures ne circulent point et où l’on mange des figues délicieuses. Après le déjeuner, pendant l’heure du riposo, M. V…, qui avait découvert tout de suite une jolie marchande de cigares, m’entraîna, par une chaleur effroyable, dans le haut de la ville. Nous passâmes sous la porte d’Annibal, dont l’inscription latine atteste pompeusement l’orgueil de l’antique garnison qui arrêta l’armée carthaginoise. Quand nous arrivâmes au Spaccio di Tobacco, la boutique était fermée. Les mathématiciens sont des gens positifs qui vont droit au but ; M. V… frappa dans la porte à coups redoublés. Enfin, une petite voix étouffée prononça le chi è ? que nous désirions. Une jeune fille, d’une beauté éblouissante, montra sa tête à une lucarne et nous dit d’attendre un momentino. Elle vint bientôt nous ouvrir et M. V…, s’installant sur une chaise