Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/281

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dans la boutique, me pria de lui servir d’interprète. Ses compliments et phrases galantes avaient le nerf démonstratif d’une proposition d’Euclide, mais je les adoucissais en les traduisant et la jeune fille répondait avec une décence et une naïveté si aimables que la conversation rentra tout de suite dans les bornes de la politesse. M. V… voulait avoir de l’eau fraîche et des figues. La jeune fille nous offrit d’aller éveiller la fruitière ; au moment de partir, elle nous avoua, sans honte, qu’elle n’avait pas d’argent.

— Nous sommes si pauvres, disait-elle, et nous vendons si peu de choses !

La fruitière apporta un panier de figues qu’elle nous céda pour deux paoli et dont la petite marchande mangea sa part d’un air content. Après avoir fait une ample provision de cigares dont nous n’avions pas besoin, il fallut pourtant nous décider à partir. La jeune fille nous adressa des remerciements et des sourires et nous demanda notre pratique en disant au revoir.

— Hélas ! Ma chère enfant, lui répondis-je, nous ne nous reverrons probablement jamais. Nous sommes arrivés ce matin et nous coucherons, ce soir, à Foligno ; mais nous voulons vous laisser un souvenir d’amitié avant de retourner dans la froide France.

Nous avions, dans nos poches, de la monnaie de Naples : c’était une manière d’offrir de l’argent à cette pauvre fille sans l’humilier. Elle accepta plusieurs pièces sans se faire prier le moins du monde et, dans l’étonnement que lui causait notre cadeau, elle posait un doigt sur sa poitrine et s’écriait :

— Dunque, tout cela est bien pour moi ? C’est de