Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/284

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d’abord inquiété, n’ait qu’un soupirant sans appointements et cet éclaircissement lui faisait tant de plaisir qu’il en oubliait la petite marchande de Spoleto.

Nous arrivâmes le soir, par un coucher de soleil magnifique, au bord du lac de Trasimène. Napoléon disait, à Sainte-Hélène, qu’Annibal avait dû tressaillir de joie en voyant, pour la troisième fois, l’armée romaine se ranger en bataille d’une manière défectueuse. Une loi ridicule prescrivait d’avance au général l’ordre des troupes. Il fallait trois lignes de bataille, échelonnées à égales distances. Le consul, surveillé par une foule de sénateurs orgueilleux et tracassiers, eût risqué sa tête à vouloir changer la routine. Annibal, campé sur la hauteur, présenta un front étendu qui déborda l’armée ennemie sur les deux ailes. Flaminius, résolu à vaincre ou à mourir, avait appuyé ses troupes sur le lac ; il y mourut honorablement. Selon toute apparence, une légion romaine battit en retraite jusqu’au village de Passignano et vendit chèrement sa vie ; mais, arrivée à un défilé, elle fut exterminée. ON retrouve encore des traces de cette dernière résistance à une lieue du centre de la bataille.

— Quel dommage, disait M. V…, qu’Annibal ait dépensé tant de génie sans résultats et qu’il se soit endormi à Capoue ! J’enrage en pensant qu’il était à deux pas de Rome et qu’il n’a point su y pénétrer.

— Modérez-vous, répondis-je, puisqu’il eût suffi d’allonger un peu le nez de Cléopâtre pour changer la face du monde, introduire Annibal dans Rome serait bien une autre affaire ; aucun de nous ne jouirait de ce beau ciel et Dieu sait où en serait la