Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

France ! Admirons le héros carthaginois tant qu’il vous plaira ; accordons une larme à ses malheurs ; mais laissons Scipio le battre à Zama ; il y va de votre vie et de la mienne.

Le lac de Trasimène, qui a plus de quarante-cinq milles de circonférence, est entouré de bouquets d’arbres et de villages charmants. Il contient trois îles : l’une est habitée par des religieux qui ont su choisir la retraite la plus tranquille et la plus belle du monde ; une autre est cultivée par des paysans et la troisième appartient à une colonie de reptiles qu’on n’a jamais pu détruire.

Notre caravane, réduite à trois voitures depuis que nous avions quitté la route d’Ancône, s’arrêta au petit village de Passignano. Nous sautons dans les barques et nous allons nager en pleine eau, tandis qu’on prépare le repas. Hélas ! Quel souper pour des nageurs affamés ! Pas un morceau mangeable ! Le pain lui-même résiste sous la dent et ne veut pas seulement se détremper dans l’eau rougie. Il fallut prendre bravement son parti et rire de ce pain imperméable ; mais quand on vit les grabats affreux que l’hôtelier nous avait préparés, il y eût un désespoir général. Je ne dormis point, malgré mon armure de gaze, à cause du bruit que faisaient mes voisins. M. V… erra comme un fantôme dans l’auberge et ne laissa reposer les gonds et les serrures que lorsqu’il eût fait ouvrir une porte qui paraissait barricadée au-dedans. Probablement cet esprit inquiet finit par trouver un gîte à son goût, puisqu’il ne rentra dans sa chambre qu’au point du jour et je crains qu’il n’ait été perdu, pendant cette nuit-là, une bataille importante au lac de Trasimène.