Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pas. La chronique des salons y est riche en intrigues curieuses ; mais il est à remarquer que les dames étrangères fournissent les chapitres les plus intéressants. A Londres ou à Paris on menait une vie sévère ; en voyage, on s’amuse de toutes ses forces avant de reprendre son collier de sagesse. Si on prête le flanc au scandale, on s’observe davantage une fois qu’on est parti et cela retombe sur Florence qui en est fort innocente. De belles dames qui, à Paris, mettaient avec affectation leurs gants dans leur verre, à Florence le remplissent jusqu’au bord de vin de Champagne. Combien d’Anglaises revêches qui, à Londres, ne daigneraient pas parler à leur voisin avant la cérémonie ridicule de la présentation, prennent, en Italie, le bras de leur danseur pour aller chuchoter loin de l’orchestre, dans l’endroit sombre du jardin ! Il n’y a pas grand mal à cela ; mais j’ai vu d’autres effets de l’abandon causé par le voyage et je prétends les définir au moyen d’une superbe comparaison.

A la bataille de Lutzen, il se passa, dit-on, d’étranges choses. Des conscrits effacèrent, en valeur et en présence d’esprit, les soldats de Marengo et d’Aboukir. De pauvres recrues, montées sur des chevaux de charrettes, écrasèrent les régiments ennemis. Des enfants de seize ans demeurèrent à leur poste, inébranlables comme de vieux centurions. La France, épuisée, n’avait pu donner à Napoléon que des instruments faibles, mais il sut les manier admirablement. La bataille de Waterloo présente des phénomènes encore plus bizarres. On vit des capitaines intrépides hésiter à tirer l’épée, un général retenir trente mille soldats qui demandaient à marcher au bruit du canon,