Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/294

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André del Sarto. Ses Vierges, qui soulèvent fièrement leur enfant entre leurs bras, supportent, sans pâtir, le voisinage des plus belles toiles de Raphaël. Si je ne craignais d’être accusé d’hérésie, j’affirmerais que ces Vierges ont un caractère de majesté divine qu’on ne voit nulle part au même degré. Ces sublimes compositions n’ont fourni qu’à peine, à leur auteur, les moyens de vivre. A quoi sert tant de génie, bon Dieu ! s’il ne peut pas seulement nourrir celui qui le possède ? André del Sarto ne savait point débattre ses intérêts et faire, comme on dit, ses affaires. Au couvent de l’Annonciade est une fresque devant laquelle Michel-Ange et Titien passaient des journées en contemplation ; elle avait été payée d’un sac de farine. A l’académie des beaux-arts sont une multitude de morceaux sublimes ; pour chaque ouvrage, le peintre reçut la somme de vingt livres. Et avec cela, des enfants, une femme coquette et inconstante ! Les fautes et la catastrophe d’André del Sarto ont fourni le sujet de quelques pages passionnées que j’avais de bonnes raisons de savoir par cœur ; aussi ai-je considéré attentivement ces deux portraits faits par lui-même. Le premier représente un charmant jeune homme de vingt ans au plus, d’un visage rond, d’une physionomie timide, frais comme un petit abbé ; le second, âgé de trente-cinq ans, paraît maigre et pâle, accablé de tristesse et d’inquiétude, le regard fixe, la bouche contrariée par l’habitude de la souffrance. C’est le moment où le peintre songeait à l’argent du roi de France qu’il avait dépensé, à sa dette d’honneur, à l’abîme dans lequel sa faiblesse pour sa femme venait de le plonger. On sent qu’il ne survivra pas à sa honte. Pauvre André ! pourquoi t’es-tu marié ? Il