Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/300

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dos et l’emportait comme Samson la porte de sa prison ; Matteo l’Arétin brisait un écu pisan entre ses doigts comme une coquille de noix. Vos seigneuries me croiront si elles veulent : voici mon ami Giuseppe Bimbo qui leur dira si je suis un menteur. Il a vu aussi bien que moi le terrible Andronico renverser un buffle en le prenant par les cornes et le redoutable Matteo arrêter, par derrière, une charrette attelée d’un fort cheval, qui était, à la vérité, très chargée ; je suis trop sincère pour vouloir dissimuler la chose.

Andronic et Matteo étaient les meilleurs garçons du monde et, cependant, très hardis car ils allaient à la cave sans chandelle et se promenaient, la nuit, au milieu des bois comme dans leur chambre. Ils ne buvaient du vin que le dimanche et n’avaient de querelles avec personne. Comme ils tiraient vanité de leurs forces et qu’ils n’auraient pas aimé à compromettre leur réputation, ils évitaient les occasions de se rencontrer, n’allaient pas chez les mêmes professeurs et fréquentaient des cafés différents. Le père d’Andronic, don Basile, possède une mauvaise petite ferme dans la Pianura, située entre Pise et le bord de la mer. C’est un terrain d’où la Méditerranée s’est retirée peu à eu. On voit, dans cette Pianura des troupeaux sauvages trop nombreux pour être domptés et auxquels on se borne à enlever leur progéniture. Andronic se fit remarquer par son adresse dans ces expéditions dangereuses. Le père de Matteo n’est pas plus riche que celui d’Andronic et possède un clos de vignes dans les environs d’Arezzo. Malgré le soin que les deux jeunes gens mettaient à s’éviter, il existait, au fond, une espèce de rivalité entre eux et on s’attendait à les voir, quelque jour, aux prises ensemble.