Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/310

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yeux d’une vivacité singulière, pour recueillir sur les visages de l’auditoire quelques signes d’émotion. Mon compagnon, M. V…, n’avait compris le récit qu’à moitié ; quand je l’eus mis au fait de la situation, il se tourna vers l’homme aux yeux perçants et lui dit avec sang froid :

— Eh bien ! Après ?

Si vos seigneuries, reprit le narrateur, ont séjourné à Arezzo, elles ont pu remarquer qu’on n’y ment jamais, tandis que le reste de l’Italie est plein d’imposteurs. Mon ami Joseph Bimbo vous dira que j’aime trop passionnément la vérité pour ajouter à cette histoire un seul mot de mon invention. Les gens que le hasard ou la curiosité avaient amenés dans le café devinèrent tout de suite, aux regards des deux rivaux, que la querelle irait plus loin et les plus braves auraient bien donné quelques paoli pour être transportés subitement chez eux. Ils restèrent immobiles, attendant l’événement. Matteo rompit bientôt cet horrible silence.

— Don Andronico, dit-il, je vous ai laissé, jusqu’à présent, faire la cour à ma maîtresse sans vous gêner et vous avez dû me trouver de bonne composition ; mais je vous avertis que cela ne peut plus durer.

— Don Matteo, répondit l’autre, cela ne durera pas car vous allez renoncer à celle que vous appelez votre maîtresse et qui est la mienne.

— C’est vous qui renoncerez à Fioralise, je vous le jure par tous les saints du paradis.

— Il faut que cela finisse, reprit Matteo ; je vous donne jusqu’à demain pour réfléchir. Si, à pareille heure, vous ne déclarez pas que vous abandonnez vos prétentions, vous aurez affaire à moi.