Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/322

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— Je ferai observer à vos seigneuries, nous dit-il, que si je les cite au bureau de la polizia, elles manqueront le départ du chemin de fer de Venise ; elles perdront un jour à Padoue ; la dépense, à l’auberge leur coûtera au moins deux piastres ; par conséquent elles auraient un bénéfice tout clair à me donner ce que je réclame.

— Il est fort aimable à vous, répondis-je, de vous inquiéter de nos véritables intérêts. Nous vous en remercions ; mais nous ne profiterons pas de l’avis et vous n’aurez jamais votre piastre.

Cette mauvaise volonté révolta le voiturin. Il descendit de nouveau l’escalier, puis il reparut une seconde fois.

— Signori, dit-il avec douceur, je n’aime pas les querelles et je serais fâché de vous empêcher de partir. Pour vous accommoder, je consens à perdre la moitié de la somme ; je me contenterai d’une demi-piastre par tête.

— Ce désintéressement est sublime, répondis-je ; il y aurait conscience d’en abuser. Vous n’aurez point de demi-piastre et, si vous nous menez à la police, nous vous ferons assurément retirer votre brevet de voiturin.

— Eh bien ! signori, reprit l’homme d’un ton piteux, j’abandonne mes droits. Donnez-moi ce que vous voudrez pour boire une bottiglia.

— Pas seulement un baïoc ; vous êtes un coquin.

— Ma voiture est bien propre : bons chevaux, beaux harnais, brave cocher ; je vous demande la préférence pour vous conduire à Vicence, Vérone, Udine.

— Jamais vous ne nous conduirez nulle part.