Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/325

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qui va d’un orchestre à l’autre. Le genre fashionable, qui consiste à glisser le plus vite possible, à dépasser la gondole du voisin et à faire mille évolutions bizarres ; La Regata est un autre divertissement plus rare qui ressemble un peu à nos courses de chevaux, car l’art du gondolier remplace, à Venise, celui de l’équitation. Outre le bénéfice du prix, le vainqueur de la course a les honneurs d’un triomphe.

Les gondoliers vénitiens sont divisés en deux armées rivales. Il y a le camp des castellani et celui des nicolotti. Les premiers tirent leur nom du castello où stationnent leurs barques ; ils portent le bonnet et la ceinture rouge ; les autres habitants du quartier de San-Nicolo sont voués au noir. Celui des deux camps qui gagne le prix passe deux jours en fêtes ; le camp opposé a l’oreille basse. Non seulement le peuple met une passion extrême à cette grande question, mais la bonne compagnie elle-même se partage en deux coteries qui se querellent et dépensent beaucoup en gageures pour les rouges ou les noirs. Souvent, le gagnant devient insolent dans l’ivresse du triomphe et il en résulte des batailles où les couteaux sont mis au vent. On m’a montré une fort belle dame qui s’était brouillée avec son amoureux un jour de Regata, parce qu’il était partisan des castellani et qu’elle était de cœur pour les nicolotti. Voilà une véritable vénitienne du bon temps de la magnifique seigneurie. Le peuple chante plusieurs chansons, dont cette guerre civile des gondoliers est le sujet.

On m’avait tant annoncé une ville morte que j’ai été fort surpris de voir Venise encore animée ; cependant beaucoup de monde était à la campagne et l’Opéra ne donnait pas de représentations. Quoique