Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/326

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nous fussions au mois de septembre, la chaleur était extrême. On se promenait pendant toute la nuit. Les cafés de la place Saint-Marc avaient enlevé leurs portes et ne se fermaient jamais. Il m’est arrivé plusieurs fois de sortir du lit à trois heures du matin, pour aller prendre des glaces, et de trouver une réunion nombreuse de consommateurs qui jouaient aux cartes, pour tuer le temps, comme s’il eût été midi.

Les Italiens ont conservé le goût de tous les arts ; mais le besoin d’admiration qui les tourmente ne laisse pas, à leur jugement, assez de liberté. Lorsqu’on tombe dans une exposition de peinture, on est effrayé de la disette de bons ouvrages. Ce qui afflige encore plus que l’absence de talents, c’est de voir les louanges exagérées dont le public accable les tableaux tout à fait mauvais. On se demande ce que sont devenus ces connaisseurs sévères qui donnèrent la préférence à Michel-Ange débutant, sur Léonard de Vinci à l’apogée de sa gloire. Il faut admirer à tout prix, s’extasier, décerner des couronnes. S’il n’y a rien de bon, n’importe ; on s’extasie néanmoins, on couronne quand même. On s’arrête devant une drogue et on commence par vanter le bleu d’une robe ; la tête s’échauffe, on admire un bras, une pose, un visage et puis tout le tableau ; on s’écrie : « voyez quelle variété de couleurs ! » On porte aux nues le bravo pittore et, quelquefois même, on s’embrasse devant la toile par un transport de plaisir.

Pendant notre séjour à Venise, il y eut une exposition à l’Académie des beaux-arts. On y voyait de tout, depuis le nez au crayon noir de l’écolier en bas âge, jusqu’au tableau d’église et ces morceaux variés