Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/327

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s’étalaient au-dessous d’une armée terrible de Titiens, de Paul Véronèses, de Bonifaces et de Tintorets. Les éloges pleuvaient à tort et à travers. Le seul tableau qu’on ait traité avec réserve est celui de M. Aurèle Robert et, à mon sens, c’était précisément le seul ouvrage de mérite qui se trouvât dans toute l’exposition. L’artiste étranger arrive difficilement au titre de pittore aussi bravo que celui du cru. La peinture a, chez nous, le privilège de faire dire à la critique plus de bévues en deux mois que dans le reste de l’année. En Italie, elle inonde les journaux d’une cascade permanente de fades compliments. Cependant, croiriez-vous qu’il y a vingt ans, ces mêmes critiques, si prodigues d’encens, ont eu le courage d’attaquer outrageusement, dans leurs petits feuilletons, Léopold Robert ? Le tableau des Pêcheurs, que nous mettons au premier rang des ouvrages modernes, n’a pas eu le bonheur de plaire à un écrivain qu’on m’a montré, un soir, au café Parténope et dont j’ai refusé net de faire la connaissance pour cette raison. Ce monsieur n’a pas trouvé que Robert possédât la varietà de colori qui distingue le premier venu. Un article injurieux publié dans le Gondoliere fut, à ce qu’on m’a assuré, très sensible à ce maître que nous regrettons encore. Peu de jours après, Léopold Robert se tua. Je me plais à penser que d’autres motifs inconnus et plus graves l’ont déterminé. Les ouvrages de M. Aurèle Robert n’ont pas le cachet de grandeur et de tristesse de ceux de son frère ; mais la grâce et le sentiment du pittoresque ne lui manquent pas et ces qualités ont aussi leur prix. Je n’ai causé qu’une fois avec M. Aurèle Robert et j’ai cru remarquer en lui un défaut que ses amis feraient bien de s’appliquer à