Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/333

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des régates. Moi qui suis vieux, je l’ai vue ainsi ; mais à présent elle est si changée qu’on ne la reconnaît plus. Ce qui a perdu la pauvre Zanze, c’est d’avoir été capricieuse, infidèle, trop avide d’argent ; d’avoir prodigué ses faveurs et manqué de foi à ses amis.

Zanze a eu cent trente-deux amoureux, cela est connu. Les premiers étaient des gens du peuple, mais braves, honnêtes et dignes d’elle ; ceux-là ont été souvent malheureux et maltraités, en dépit de leur dévouement, car la jeune vierge était d’un caractère bizarre, comme toutes les Vénitiennes. Les suivants, grands seigneurs puissants, fameux politiques ou bons militaires, étaient des amants en titre et des maîtres despotes qui l’ont domptée en lui faisant un sort brillant aux dépens de sa vertu. Les derniers sortaient d’une coterie de gens, riches et nobles, qui se la passaient de main en main et qui employaient toutes sortes de ruses pour lui faire croire que leurs volontés étaient les siennes. Enfin le mariage est arrivé, mais un mariage forcé qui la rend si triste que ce n’est plus la même personne.

Quoique les gondoliers m’aient donné le nom de docteur, il y a, dans Venise, bien d’autres docteurs plus savants que moi qui pourraient vous dire, sans rien oublier, l’histoire complète des amours et du mariage de cette belle fille. Je n’ai vu toutes ces choses que de loin, dans mon humble condition ; voici toujours le peu que j’en ai appris. Parmi les cinquante amoureux d’Anzelina, on assure qu’il y en eût neuf qu’elle chassa impitoyablement, après les avoir d’abord écoutés avec faveur, cinq qui moururent de chagrin de lui avoir déplu et cinq qui renoncèrent