Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/334

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volontairement à leurs prétentions sur un cœur aussi fier. Dans le nombre étaient des hommes de mérite et, surtout, un nommé Dominique qui se fit soldat pour lui plaire et qui devint la terreur des Grecs. Le premier amant heureux a été un certain Sébastien, dont les richesses et le crédit éblouirent cette tête folle. Il lui donna des présents, distribua de l’argent aux amis et aux serviteurs, si bien que Zanze, circonvenue de tous côtés, perdit cette fleur de sagesse qui la rendait si glorieuse. Après Sébastien, elle eût pour amant un certain Maître Pierre, homme du commun devenu grand seigneur ; et puis elle laissa celui-ci pour don Henrico, vieillard d’une énergie extraordinaire. Ce don Henrico était aveugle et âgé de quatre-vingt-seize ans lorsqu’il fit la conquête de la plus belle fille du monde. Il lui créa un patrimoine, prit le soin de ses affaires et mourut à cent ans, la laissant riche et honorée.

Les belles femmes et les Vénitiennes en particulier, se croient tout permis. Anzelina devint arrogante. Un certain Jacomo, qu’elle paraissait aimer, eut beaucoup à souffrir pour elle. Il la protégea en plusieurs circonstances difficiles et il aurait remué le ciel et la terre pour obtenir un sourire de sa souveraine. Un beau jour, il se lassa de n’être pas payé de retour comme il le souhaitait et il abandonna cette maîtresse fantasque qui ne s’en affligea point et lui donna, aussitôt, un successeur. Un conseil d’amis et de parents se servit de ces caprices comme d’un prétexte spécieux pour enfermer Anzelina dans un cercle de gens de qualité qui s’entendirent entre eux pour la diriger à leur guise. On la persuada qu’elle ne savait pas se conduire elle-même et qu’elle devait