Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/338

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rendu l’âme, Anzelina tomba dans les mains de gens paresseux, sans courage et sans dignité, qui l’habituèrent à une vie molle et indolente. Elle ne s’occupait que de bagatelles, fréquentait le théâtre des Arlequins, se livrait à la gourmandise et perdait, dans les excès et les veilles, sa fraîcheur, sa grâce et sa noblesse d’âme. Elle acheva de s’avilir en se conduisant d’une manière maladroite et perfide envers plusieurs personnes à la fois.

Un petit capitaine français, qui ne faisait pas encore grande figure, eut une altercation terrible avec des Anglais, des Russes, des Italiens et des Allemands. Anzelina, lui voyant tant d’ennemis à la fois, pensa qu’il serait obligé de déguerpir et se moqua de lui outrageusement. Cependant, le petit capitaine déploya tant de vigueur qu’il chassa tous ces importuns et resta maître du terrain. Alors Anzelina lui fit des avances qu’il reçut avec une froideur dédaigneuse. Les rivaux revinrent à la charge et la rusée Vénitienne s’imagina, cette fois, que le jeune Français allait être au moins assommé. Elle le sacrifia, l’insulta ouvertement et se prononça pour ses ennemis. Le petit capitaine chassa de nouveau ses concurrents et, cette fois, il traita Anzelina avec le dernier mépris, en la menaçant de la faire disparaître de la surface du globe. Les tuteurs furent jetés à la porte ; le conseil se dispersa ; l’amoureux en titre, le bon Luigi, prit la fuite et la pauvre Zanze, éperdue et abandonnée, se serait précipitée dans la lagune, pour se noyer, si elle eût conservé quelques restes de son ancien orgueil. Elle se serait volontiers offerte, corps et biens, au petit capitaine ; mais, pour comble de dégradation, ce jeune homme lui tourna le dos en disant