Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/339

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qu’on ne devait rien attendre de bon d’une fille ingrate et menteuse et qu’il la laissait à qui voudrait s’emparer d’elle. Zanze en était à ce dernier degré du malheur lorsqu’un fort grand seigneur allemand lui tendit la main et voulut bien l’épouser.

Aujourd’hui, le grand seigneur allemand traite sa femme avec une bonté toute paternelle ; mais son calme et sa raison, son caractère froid et sérieux s’accordent mal avec l’humeur capricieuse et passionnée d’une Vénitienne. Il n’y a jamais de querelle dans le ménage, point de tracasseries ni de paroles aigres ou sévères ; seulement Anzelina est dévorée de chagrin. Le mari, craignant qu’elle ne meure, essaye de l’arracher à sa mélancolie en lui donnant des fêtes, en ne lui refusant aucun des plaisirs qui amusent une femme. Tous les soirs il lui fait entendre des concerts, organise, pour elle, des parties d’eau, des joutes ou des sérénades ; rien ne peut la dérider. Les douceurs du luxe ne la touchent point, quoiqu’elle les ait aimées autrefois jusqu’à l’extravagance. Son palais est éclairé au gaz, entretenu avec autant de soin que possible ; un pont magnifique, construit à grands frais pour faciliter l’abord de cette résidence, vient d’être achevé ; d’autres travaux, considérables, sont commencés. Zanze regarde tout cela d’un œil distrait. On la trouve encore belle et les étrangers qui la voient ne cessent de répéter qu’il n’y a pas de plus charmante personne sur la terre. Cependant, il est certain qu’elle s’en va mourant. Souvent, dans les bals, au milieu des lumières, de la musique et des rires, elle se met dans un coin de son appartement, à regarder, par la fenêtre, le Rio sombre ou les quais déserts. Elle suit des yeux ces