Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/347

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seul dans les rues de Milan, je songeai à mes amis, aux causeries du coin du feu, à tout ce que j’avais laissé en France de cher et d’aimable et je courus immédiatement à mes bagages. Le moment du retour est une si douce chose qu’il faudrait voyager, ne fût-ce que pour retrouver ceux qu’on aime. Je m’arrêtai deux jours au lac de Côme pour visiter la villa Sommariva et saluer, du bord du bateau à vapeur, la Pliniana, séjour charmant qui fait envie et inspire le goût des équipées amoureuses et puis je partis, ayant contracté une dette de cinq sous envers Gustave Planche à qui je rendrai cette somme lorsque nous nous rencontrerons en Chine. Trois jours après, j’avais traversé la Saint-Gothard, le lac des Quatre-Cantons, Lucerne, Bâle et Strasbourg. En regardant l’horloge de la cathédrale et les belles sculptures, de Pigalle au tombeau du maréchal de Saxe, il me semblait n’être jamais sorti de France et avoir entrevu l’Italie dans un rêve. Pour la première fois depuis un an, je retrouvais la sensation de bien-être de l’homme appuyé sur son terrain, environné d’êtres faits comme lui et qui parlent sa langue. J’étais dans le pays de la vraie indépendance, où l’on peut penser et dire librement. Quoique les polices de l’Italie ne vous tourmentent pas, elles savent tout de suite à qui elles ont affaire et s’assurent que votre intention n’est bien que de voir le pays et de vous divertir. Les journaux, soumis à une censure rigoureuse, ne parlent que de bagatelles d’une fadeur insupportable. Arrivé dans la terre classique de l’esprit et du goût, je me jetai, comme un affamé, sur les larges feuilles volantes qui couvraient les tables d’un café, mélange bizarre et curieux de politique, de critique, de littérature,