Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/39

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C’est que Polichinelle est un menteur gai, plaisant et naïf qui obéit à l’instinct d’une antique corruption passée dans le sang, tandis que les autres sont des spéculateurs. Il est fort heureux que la mauvaise foi italienne soit accompagnée de comique et d’originalité, car le nombre des trompeurs est bien plus grand qu’en France et il faut avoir affaire à eux vingt fois par jour. Malheur à l’étranger qui s’en irrite ! Son voyage en Italie n’est plus qu’une attaque de nerfs perpétuelle et il ne gagnera rien à se mettre en colère.

Mon hôtelier de Sainte-Lucie avait une jeune nièce, grande et assez belle, de figure mauresque, basanée comme un porte-manteau et fille de confiance de la maison. Non seulement elle me faisait payer les choses le double de leur valeur, mais elle ne pouvait se résoudre à me rendre un compte exact de l’argent que je lui donnais. Elle entrait avec la majesté d’une impératrice et déposait sur ma table la moitié de ce qu’elle aurait dû me remettre. Si j’insistais pour avoir le reste, elle remportait l’argent et ne revenait plus ; si je la rappelais, elle rentrait avec la même majesté pour me remettre un peu moins que la première fois. A la troisième conférence, elle ne m’aurait plus rien rendu. Avoir de l’argent sous les yeux et n’en pas prendre lui était absolument impossible. Elle serait allée à Capo-di-Monte pour m’obliger et peut-être sans demander le prix de sa peine ; mais si je lui confiais une piastre, elle en mettait la moitié dans sa poche et on l’eût plutôt coupée en morceaux que de lui arracher ce qu’elle avait pris. La puissance divine de l’instinct triomphait de tout et avec si peu de déguisement que j’en venais moi-même à