Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/42

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pêcheurs et de jeunes-filles, se rendant à l’appel, improvisaient un bal en plein air. Je comptais sur cette scène pour dissiper mon ennui : la vieille femme ne vint pas se mettre à son poste à l’heure accoutumée. Je demandai un facchino pour porter une lettre ; on me répondit : « les facchini ne veulent pas marcher parce qu’il fait sirocco ». Le mystère étant éclairci, je me sentis plus à l’aise et je résolus de surmonter l’influence du sirocco. Après le dîner, mon patron d’auberge me voyant disposé à sortir, me conseilla fort de ne pas m’exposer à ce vent dangereux ; mais je me moquai de lui et descendis sur le quai. Dès six heures du soir, Naples n’était plus qu’un désert. Le sirocco régnait sur la ville et sa violence augmentait avec la nuit. Une lune rouge et enflammée se levait entre les deux mamelons du Vésuve. De Sainte-Lucie à l’extrémité de Chiaja, où tout le monde se promène les dimanches soirs, je ne rencontrai absolument que des chiens qui poussaient des hurlements plaintifs, effrayés par le bruit terrible de la mer. Les vagues voulaient prendre d’assaut le château de l’œuf. A la Villa-Reale où, dans les jours calmes, la Méditerranée étendait mollement les longs plis de son manteau en produisant le bruit traînant d’une fusée volante, des lames furieuses envoyaient leur écume au visage des promeneurs, c’est-à-dire du seul promeneur qui passât sous les arbres dans ce moment de désolation. Ce n’était plus la baie de Naples de tous les jours ; ce lieu dont on n’a vanté que les douceurs n’est pas moins sublime à l’heure où la nature s’irrite que dans les instants où elle s’épanouit.

En regardant l’île de Capri, je songeai à Tibère,