Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/43

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retiré dans son observatoire sur la pointe de ce rocher. Il y eut aussi des jours de sirocco pour lui. Plus d’une fois, lorsqu’il avait besoin de calme et de gaieté, la nature lui mit sous les yeux le spectacle de la souffrance et de la fureur. Dieu sait quelles voix montèrent jusqu’à son oreille du sein de la mer, quelles paroles ces voix lui firent entendre, quelles images s’offrirent à ses yeux dans la confusion de la tempête ! Dieu sait s’il ne vit pas ta figure menaçante, vertueux Germanicus !

Ma tristesse du matin se rembrunissait davantage à chaque pas. Je rentrai à Sainte-Lucie pour fuir une crainte ridicule qui s’emparait de mon esprit. A peine installé dans ma chambre, les bruits sinistres du dehors me jetèrent dans ce monde de sensations qu’on reconnaît tous les jours de fièvre ou de maladie et qu’on oublie aussitôt que la santé est revenue. Tout ce qui me charmait la veille avait changé de sens et portait un nom nouveau. Hier, je disais la liberté, aujourd’hui, la solitude. Ce que j’appelais voyage, c’était l’exil ; la belle Italie, terre étrangère ; le doux langage qu’on y parle, jargon insupportable ; la patrie classique de la musique et de la poésie, un sombre enfer, un désert lugubre. Lorsque je me mis au lit, les rideaux et les meubles ne manquèrent pas de revêtir des formes fantastiques. Je perdis la faculté de mesurer les distances et les quatre murs de la chambre, s’enfuyant à perte de vue, me laissaient couché au milieu d’une plaine. Si je fermais les yeux, c’était bien pis encore : le cerveau ne recevant plus d’aliments des objets extérieurs, se donnait carrière. Des tableaux magiques me montraient, comme à Zémire, ma famille et mes amis plus tourmentés et plus malheureux