Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/49

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comme un aigle. L’étranger passe avec un sang-froid désolant ; ainsi s’envole l’espoir d’un petit bénéfice !

La Villa-Reale est le domaine des enfants et du monde élégant. On y voit, le matin, les nourrices à larges tailles, avec leurs corsages garnis de clinquant, insignes respectables de leurs fonctions, dont elles sont très fières. Celles de Procida ou d’Amalfi ont de belles figures. Le soir, les dames arrivent au jardin et, dans l’été, la musique militaire, qui est excellente, vient jouer sous les arbres les meilleurs morceaux de l’opéra en vogue.

Au-delà de la promenade, publique, en suivant le bord de la mer, vous passez devant la petite église de Piedigrotta, située au pied de la magnifique grotte de Pausilippe et vous tombez au milieu d’une population de pêcheurs et de barcarols. Tous les visages d’hommes y sont marqués d’un cachet antique. La misère n’a fait que les fortifier et les endurcir et ils la supportent avec majesté. Leurs formes sont athlétiques; on peut les admirer à son aise car ces Hercules marins s’habillent volontiers comme Cincinnatus à la charrue. Celui qui n’a sur son épaule nue qu’une corde, une lanière de cuir ou un brin de filet se pose encore comme s’il n’avait pas perdu l’habitude de se draper dans la toge romaine. Quelques-uns prennent des noms historiques : Vespasien, Titus, Asdrubal, Tibère même, auquel ils ajoutent une lettre pour en faire le mot plus sonore de Timberio. En les voyant, groupés au soleil ou étendus sur leurs barques, avec des physionomies calmes et résolues, vous les sentez plus forts que leur destin et l’idée ne vous viendrait pas de les plaindre ; mais si vous allez par