Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/58

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des fleurs sauvages qui répandent un parfum particulier, souvent plus doux que celui des jardins les mieux cultivés. Dans certaines dispositions de l’âme, ces modestes plantes vous charment plus que les superbes tulipes du Tasse et même que les roses de Pétrarque. D’ailleurs, ces riches fleurs classiques, il faut les aller chercher de parti-pris dans le livre où on les conserve, tandis que l’odeur légère de la fleur sauvage vient vous trouver d’elle-même. Elle entrera jusqu’au chevet de votre lit avec le zéphire du matin ou la brise de la mer. Dépêchez-vous de la goûter car elle sera peut-être morte demain. L’un fait oublier l’autre et le moment de la floraison une fois passé vous n’aurez plus le même plaisir à la retrouver dans une collection.

— Mais le pauvre auteur, direz-vous, que fait-il ? Où est-il ? Ne lui revient-il donc ni honneur ni profit ?

Ce qu’il fait, je n’en sais rien. Son pays, c’est peut-être Castellamare ou Sorrente, à moins que ce ne soit Portici. L’idée lui est peut-être venue en pleine mer ou dans les montagnes. De l’honneur et du profit ? Il n’y songe pas ; sans cela il se pourrait qu’il n’eût rien fait de bon. Il ignore absolument qu’on peut, avec une chanson, avoir un nom, une réputation et gagner de l’argent. Si vous lui en parliez, il vous regarderait de travers comme si vous vouliez lui acheter son ombre, ou bien il rirait en apprenant qu’on peut s’estimer heureux de voir sa pensée gravée et affichée derrière les vitres de M. Bernard Latte. L’air de T’e voglio ben’assaïe lui aura été inspiré par quelque jeune-fille qui ne voulait pas penser à lui et dont le cœur aura fini par être touché ; c’est là sa gloire et son