Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/64

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croient aux traditions et ceux qui adoptent le contre-pied, par amour du paradoxe. Selon les premiers, l’Italie serait un coupe-gorge ; pas une grande route ne serait sûre ; des brigands partout ; des jaloux, le poignard à la main derrière toutes les tapisseries, des stylets dans toutes les manches d’habit, du poison dans les bouteilles, des trappes sous le plancher des chambres d’auberge, des in-pace dans tous les couvents, un assassin déguisé sous la figure débonnaire du vetturino ou du cameriere, des cavaliers servants et des sigisbées à côté de toutes les dames. Cette Italie de convention n’existe que dans les romans d’Anne Radcliffe qui l’inventa dans les brouillards de la Tamise.

Au contraire, selon les amis du paradoxe, il n’y aurait pas un brigand, ni un passage périlleux, ni un voleur de mouchoirs, ni un donneur de coltellate. Jamais une chaise de poste n’aurait été arrêtée dans les rochers de Terracine. Les Calabrais seraient des bergers de Florian. Pour peu que la discussion s’animât, on en viendrait à nier l’existence de la Calabre elle-même. Quant aux Abruzzes, on y pourrait circuler comme sur la route de Bourg-la-Reine. On n’y aurait jamais vu un ours ; les buffles viendraient manger dans la main du passant. La tarentule et le scorpion seraient des animaux fabuleux et les mots de sigisbée ou de patito des fables inconnues en Italie. La cause de ces différences d’opinion est facile à comprendre. Chacun décide que le pays est invariablement tel qu’il l’a vu et nie ce qu’il n’a pas rencontré. Celui-ci, à qui on a volé une malle, se croit au milieu d’un peuple d’assassins et de brigands ; mais le voisin, qui trouve le compte de ses bagages, refuse de croire aux