Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/77

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qu’on puisse prendre en passion. J’ai vu, à Naples, deux ténors médiocres se partager les toques à plumes et l’intérêt du public, l’un bon musicien et déjà usé par le travail, l’autre doué d’une voix superbe qu’il maniait assez mal. Le premier basso-cantante, nommé Coletti, possède le feu sacré qui fait les grands artistes et il le deviendra, mais ce n’est pas encore une chose achevée. Avec ces faibles éléments, je ne sais quel charme tenant sans doute au pays m’attirait à l’Opéra. Je ne pouvais dormir de bon cœur si je n’avais pas entendu la romance de la Linda. Toute pâle qu’est cette musique, elle semble avoir plus de couleur sous le ciel de Naples. Les contrées méridionales ont le privilège de vous maintenir dans un ordre de sensations heureux et favorable aux arts. Vous habitez Naples depuis huit jours à peine que vous éprouvez, comme les Italiens, le besoin de vous dilettare et, quelle que soit la pièce du moment, vous allez à San-Carlo. Lorsqu’au mois de février, à l’époque des grandes douleurs de la nature du Nord, vous vous habillez les fenêtres ouvertes, vous circulez dans la ville sans autre incommodité qu’un peu de poussière et vous parcourez les environs à la chaleur tempérée d’un beau soleil, les rouages de la machine humaine fonctionnent mieux et plus activement ; vous sentez avec plus de vivacité ; la cavatine dont vous pèseriez sévèrement la juste valeur au théâtre Ventadour vous épanouit d’aise; le ballet vous intéresse, vous devenez enfant comme le parterre napolitain et vous vous surprenez à désirer le moment plein d’émotion où les brigands du ballet