Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

trente-cinq ans, on ne joue que ses ouvrages et ce n’est pas une petite affaire que d’alimenter le théâtre de San-Carlino. Tous les samedis, pendant la saison d’hiver, il faut une pièce nouvelle. Jamais la première représentation n’a manqué d’arriver au jour convenu. En une semaine on fait, on apprend et on répète une comédie tout en jouant celle de la semaine précédente. Le fécond Lope de Vega lui-même se serait fatigué de ce métier-là et aurait peut-être donné sa démission. Le signor Altavilla est aussi frais d’esprit et aussi en train que le premier jour.

Vous devinez sans peine qu’avec si peu de temps pour composer et préparer une pièce, il est impossible qu’on l’écrive avec soin et même qu’on la mette entièrement sur le papier. Le canevas seul est déterminé, une partie des scènes à demi-ébauchées, quelques mots soufflés d’avance aux acteurs ; le reste s’achève en causant et en répétant l’ouvrage. Une large part est laissée à l‘improvisation, à l’esprit du Polichinelle, à la bonhomie du Pangrazio, aux délicieuses minauderies de la vieille, au bégaiement de l’homme à lunettes et aux inspirations dernières que le moment de la représentation suggère encore à l’auteur. On ne sait pas au juste si les scènes se suivent bien, comment cela doit marcher. Déjà le samedi arrive, voici le public dans la salle ; l’orchestre a joué l’ouverture, les trois coups sont frappés, la toile se lève. Pancrace paraît, le parterre éclate de rire. Le souffleur est habile ; l’exposition réussit ; chacun voit clair dans son rôle. On se comprend, on se soutient l’un l’autre. La pièce marche : tout à coup l’amoureux saisit Altavilla par le bras dans la coulisse.