Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/191

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Puis rompant par ces mots son silence charmant,
Elle fait le recit de l’infidelle amant.
Dans le plus bel endroit du climast de la Grece,
Un prince fut aymé d’une illustre maistresse ;
Et l’illustre beauté le fut esgalement,
L’amour blessant leurs cœurs presque en mesme moment.
Ils n’avoient qu’un esprit ; ils n’avoient plus qu’une ame ;
Si l’un avoit des feux, l’autre avoit de la flâme ;
A toute heure, en tous lieux, comme en toute saison,
Ce que l’un souhaitoit, l’autre le trouvoit bon.
Ils vivoient sans chagrin, ils vivoient sans envie ;
Rien ne troubloit alors le calme de leur vie ;
Et pour favoriser leurs amoureux desirs,
La fortune elle mesme, aydoit à leurs plaisirs.
La fortune elle mesme, et legere, et changeante,
Pour les rendre constans, cessoit d’estre inconstante :
Leur bien estoit durable, et dans un si grand heur,
Nul meslange de mal n’en troubloit la douceur.
Car sans souffrir du sort les injustes rapines,
L’amour les couronnoit de roses sans espines :
Et leur felicité n’avoit plus qu’à durer,
Puis qu’un cœur qui peut tout n’a rien à desirer.
O changement honteux ! ô foiblesse honteuse !
L’ame de cét amant se lassa d’estre heureuse :
Je ne sçay quel desgoust qu’on ne peut exprimer,
Lors qu’on l’aymoit le plus, le fit cesser d’aymer :
Et par un pur caprice, aussi leger qu’estrange,
Du desgoust au mespris, et du mespris au change,