Un chagrin éternel, par une vapeur noire,
M'enveloppe les sens, l'esprit, et la mémoire,
Et me rendant stupide aux objets les plus beaux,
Fait errer cet esprit, à l'entour des tombeaux : [790]
C'est là qu'est tout mon bien, c'est là que je veux être,
Donc si dans votre coeur, quelque pitié peut naître ;
Si les malheurs d'autrui, vous peuvent émouvoir ;
Si j'ai quelque crédit, si j'ai quelque pouvoir ;
Si la raison encor ne vous est ennemie ; [795]
Permettez que je meure, au moins sans infamie ;
Et qu'un noble trépas arrête le dessein,
Qu'une injuste fureur, vous a mis dans le sein.
Je vous conjure donc, par Rome surmontée,
Par ce haut rang de gloire, où la vôtre est montée, [800]
Par les fameux lauriers, qui vous ceignent le front,
Par ce bras généreux, si vaillant et si prompt,
Par le titre de roi, par l'honneur, par vous-même,
De poignarder ce coeur, sans vouloir qu'il vous aime.
Comment, vous préférez la mort à mon amour ! [805]
Vous me haïssez plus, que vous n'aimez le jour !
Et votre oeil qui s'obstine à sa rigueur première,
Pour perdre mon objet, veut perdre la lumière :
Qui cause le mépris, que vous avez pour moi ?
Sont-ce les qualités, et d'amant et de roi ? [810]
Et dans les sentimens que votre orgueil vous donne,
Est-ce trop peu pour vous, que porter la couronne ?