Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/141

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inquiétude, quoique incertain sur sa destinée, il s’était laissé aller à la préoccupation la plus naturelle à son âge. Les beaux yeux de la fille aînée du fermier de son père l’avaient ému, et tout son temps était employé à la regarder aller et venir, ou à lui parler à la dérobée quand l’occasion devenait opportune. Dans cette circonstance, le père aurait été plus endurant pour les galanteries de son fils, si les manières du jeune homme eussent indiqué qu’il ne s’agissait que d’une amourette passagère. Mais M. de Beauvoir ayant cru reconnaître qu’il se mêlait aux démarches de son fils quelque chose qui ressemblait à de la retenue et à du respect, il en conçut une inquiétude d’autant plus vive, que connaissant les principes rigides de sa femme, qui n’admettait d’issue possible à l’amour que par le mariage, tout ce conflit de scrupules et de tendresse présageait des scènes romanesques qu’il était prudent d’éviter. Or, pour trancher l’affaire dans le vif, M. de Beauvoir, décidé à faire un voyage à Paris pour solliciter la protection du cardinal Mazarin contre ceux qui lui intentaient un procès, prit le parti d’y mener son fils pour le dépayser.

Dans cette ville, M. de Beauvoir père trouva le cardinal si bien disposé en sa faveur, que l’affaire de son procès, au lieu de durer deux ou trois mois, comme il s’y était attendu, fut terminée en quelques jours. S’il fut joyeux de ce succès, l’embarras que lui causait son fils s’en augmenta d’autant. Il était même fort indécis sur le parti qu’il convenait de prendre, lorsque, se trouvant un jour à la cour du cardinal, il y rencontra monseigneur Bagni, nonce du pape, avec son secrétaire l’abbé Segni, chargé de dépêches pour Rome, et sur le point de partir. Un mot poli de l’abbé, adressé au jeune de Beauvoir, à qui il demanda s’il n’était pas curieux de venir à Rome avec lui, fut un trait de lumière pour le vieux gentilhomme poitevin. Il crut avoir trouvé une excellente occasion d’éloigner son fils de lui, et profitant des bonnes dispositions du cardinal à son égard, il le mit dans la confidence de ses inquiétudes paternelles, et demanda une commission quelconque pour envoyer son fils à Rome et le mettre sur le chemin de la fortune. Mazarin écouta en riant l’affaire du