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lui prend-il de venir aujourd’hui ? Voyez, Pancirole, s’il n’y aurait pas moyen de nous en débarrasser. »

Pancirole se disposa à passer dans l’antichambre pour arrêter la vieille religieuse dans son flux de paroles et la prévenir que le pape était trop occupé pour la recevoir en ce moment. Mais à peine le trésorier, faible, goutteux et mal affermi sur ses jambes, avait-il entr’ouvert la porte, que sœur Agathe s’étant avancée sur le battant, repoussa Pancirole et entra, en s’appuyant sur sa canne, jusque dans la chambre de sa sainteté. Maîtresse de la place, la vieille ne tarda pas à reprendre le maintien d’une humble religieuse en présence du souverain pontife, à qui elle fit les trois génuflexions d’usage et demanda sa bénédiction.

Le pape aimait beaucoup sa sœur Agathe ; elle était son aînée, se portait bien, avait de la gaieté dans l’esprit, et à cela près qu’elle était un peu bavarde et demandeuse comme toutes les femmes qui ont passé leur vie dans les couvents, il prenait plaisir parfois à la faire venir près de lui, et à l’entretenir de petits cadeaux pour elle et ses compagnes. Cependant, malgré son âge et sa loquacité, cette femme avait su profiter plus d’une fois de sa parenté avec le pape pour en obtenir des grâces dont les ecclésiastiques attachés à son couvent avaient su profiter. Dona Olimpia, qui avait l’œil et la main sur ce genre d’affaires, ne voyait pas volontiers sœur Agathe se présenter au palais, et pour prévenir la fréquence et l’indiscrétion de ses demandes, elle avait donné ordre à tous les serviteurs du pape, dont le plus grand nombre lui était dévoué, d’éconduire la vieille religieuse le plus souvent qu’ils le pourraient.

Mais cette fois, sœur Agathe avait crié tant et si haut, en menaçant de se plaindre au saint-père ; elle avait répété tant de fois que le sujet pour lequel elle voulait l’entretenir intéressait Dieu et l’Église, qu’autant pour cette raison que par suite de son opiniâtreté, on n’avait pu l’empêcher de pénétrer jusqu’à la chambre du pape.

Sitôt qu’elle eut terminé ses pieuses civilités auprès d’Innocent : « Mon frère, dit-elle en le regardant avec fermeté et s’appuyant sur sa canne, qu’elle faisait résonner de temps