Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/252

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le seul à qui on voulut faire une telle confidence ; puis il ajoutait, avec une expression de regret : « C’est une occasion unique, trente mille écus ! c’est pour rien ! » L’habitude de faire grossièrement des cadeaux était alors une manière si généralement reçue de présenter une pétition, ou de remercier d’une faveur, que l’on regardait presque comme une bonne fortune quand on vous donnait l’occasion de se montrer généreux envers ceux dont on attendait même justice. Aussi les cinq demandeurs furent-ils facilement pris au piège, et regardèrent-ils encore comme une faveur du sous-dataire qu’il voulût bien se charger de recevoir les trente mille écus pour satisfaire la modeste fantaisie de la pieuse dona Olimpia. C’est ainsi qu’en comptant le prix du bijou donné par Mazarin, ce cadeau payé cinq fois valut à peu près la somme d’un million à celle qui le reçut. Mais on aurait tort de croire, d’après cette aventure, que les nombreux présents que recevait sans cesse dona Olimpia exigeassent de sa part, ou de celle des gens qui les lui faisaient avoir, la millième partie des précautions que le hasard fit prendre en cette occasion. L’usage de se présenter ouvertement avec un cadeau à la main, un regallo, devant ceux à qui on demandait, même ce que l’on avait le droit d’exiger, était aussi bien établi dans Rome chrétienne que l’habitude des clients ne venant qu’avec la sportule bien garnie devant leurs patrons, l’était dans Rome d’autrefois.

Mais laissons un instant cette femme redoublant d’efforts pour accroître ses richesses, précisément parce qu’elle sentait chanceler sa faveur, et retournons à l’abbé Segni, qui, après avoir instruit le ministre d’état de son arrivée, fut reçu par le pape. L’objet particulier du voyage du secrétaire à Rome était de donner verbalement au pape des avertissements de haute importance. Il s’agissait de prévenir sa sainteté que le nonce avait été instruit par des Espagnols à Paris, des préparatifs que l’on faisait pour reprendre Piombino et Porto-Longone aux Français ; et qu’en cette circonstance, il était indispensable que le saint-père prît part à une expédition dont le succès importait tout à la fois aux intérêts du saint-siége et à ceux de sa famille, puisque son petit-neveu