Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/254

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à Paris ; mais qu’ils ne viennent pas ici nous embrouiller l’esprit avec leurs subtilités. Or çà, vous êtes passé par Genève, dit le pape en revenant à Segni ; on m’a dit que vous aviez été témoin de choses fort singulières. Que dit-on de nous dans la ville rebelle ? — Sa sainteté n’ignore pas que l’on n’a rien de bon à attendre de ses ennemis. — Sans doute, sans doute, répondit le pape ; mais je suis curieux de savoir jusqu’où va leur impudence et leur mauvaise foi. — Elles sont telles, saint-père, que je ne saurais trouver des paroles pour vous en donner même une idée imparfaite. — Si, si, parlez ; je veux savoir au juste ce qui se passe en ce pays. — Soyez assuré, saint-père, ajouta l’abbé Segni, que ce sont des choses telles, qu’il serait absolument impossible de trouver des paroles pour les exprimer devant votre sainteté... — Allons, allons, parlez, et ne vous mettez pas en peine du reste ; cela me regarde. — Jamais ma bouche ne pourra proférer de tels blasphèmes en votre présence. — L’intention justifie tout, mon cher Segni ; et je vous absous d’avance de tout ce que vous pourrez dire qui blesserait votre conscience ; parlez, je le veux. »

Cet ordre parut jeter Segni dans une agitation très-grande ; et comme il paraissait encore indécis de s’y conformer : « Parlez, parlez, monsieur l’abbé Segni, lui dit Pancirole ; parlez librement devant sa sainteté. C’est un devoir pour vous, et le saint-père vous saura gré de la fidélité de vos récits. — Oui, sans doute, ajouta le pape, dont la physionomie exprima alors autant de curiosité que de bienveillance ; parlez, et surtout ne me cachez rien. »

Après avoir fait encore de longs efforts intérieurs pour vaincre la répugnance qu’il éprouvait à donner le récit de ce qu’il avait vu et entendu à Genève, Segni raconta enfin tous les accidents de son séjour dans cette ville, mais non sans de fréquentes réticences, dont le pape ne se contenta pas, car il fallut tout dévoiler ; et il n’y eut pas jusqu’aux pamphlets et aux gravures satiriques dont on n’exigeât l’exhibition de la part du pauvre abbé.

Ce moment fut pénible pour tous. Malgré le désir raisonnable de Pancirole que le pontife connût la vérité, il ne put